I swear I'll love you in a different wayscary love Parfois je me dis que si on était nés dans une autre famille tout aurait été différent. Parfois je me dis que je les hais tous. Mon père, ma mère, les gouvernantes, les valets. Même lui, parfois je me dis que je le hais. Je me dis que c'est sa faute au fond si je suis comme ça. Je ne le lui dis jamais à voix haute, je ne le lui dirais jamais, mais s'il n'existait pas, je suis sûr que je serais presque normal. Je n'aurais jamais fini avec le sang d'autres garçons sur les phalanges, je n'aurais jamais été expulsé d'aucune école, je ne me serais jamais pris de pluie de coups compensatrices, je n'aurais jamais pris de pluie de coups à sa place non plus, notre père ne se serait peut-être jamais vengé sur notre mère, je n'aurais jamais eu l'amour déviant, je n'aurais jamais cherché à compenser mon péché en péchant encore plus. J'aurais peut-être été quelqu'un comme tout le monde si Oriel n'était pas né.
Je suis toujours là au mauvais moment, à croire que j'ai un don pour ça, un don pour fourrer mon nez où il faut pas et pour débarquer en plein dans des histoires qui ne me concernent pas ou où on ne m'a pas invité. J'attrape le bras de mon
petit frère, le sourire aux lèvres, prêt à déguerpir direction la maison parce qu'être en retard quand notre père est là c'est basiquement comme signer son arrêt de mort mais je capte les mots des quelques garçons en face de lui avec beaucoup trop de netteté.
« J'suis sûr que si on t'pousse tu roule en bas de la pente tellement t'es gros toi. Les chinois c'est tous des gros lards. Poussez le pour voir les gars. » Mon sourire se mue en grimace et je me jette aussitôt contre le petit chef de la bande, éclatant son nez contre mon crâne dans un craquement sinistre. Son cri résonne dans le parc et c'est mon frère qui m'attrape par la taille pour éviter que je ne les détruise tous un à un. Du haut de mes onze ans et demi, j'étais persuadé de pouvoir les réduire en miettes. Et les six ans de muay thai que j'avais déjà au compteur n'y étaient pas étranger. Je me sentais invincible, et peut-être bien que je l'étais.
La gifle me met à terre et je m'écorche le coude contre le sol de la cour. Il s'en fout. Il me met deux violents coups de pied dans l'estomac avant de m'attraper par les cheveux et de me tirer vers l'immense maison qui nous surplombe. Il me traîne littéralement jusqu'à ma chambre, me cognant contre les meubles et les murs au passage.
« Tu fais honte à notre famille. » J'entends ma mère refermer la porte de sa chambre lorsqu'on passe. Elle ne veut rien avoir à faire avec moi maintenant, elle sait ce qui l'attend par ma faute. Elle sait que c'est sur elle qu'il se vengera après parce qu'il ne peut pas me faire trop de mal, parce qu'il doit conserver les apparences. Pourtant lorsqu'on arrive dans ma chambre et qu'il me toise, il finit quand même par me mettre son poing dans la figure. A croire qu'il trouvait qu'il ne m'avait pas fait assez mal. A croire que mon visage intact le révoltait. Il claque la porte derrière lui sans un mot et je l'entends partir à grands pas en direction de ma mère. Alors, je m'autorise enfin à lâcher des larmes, j'autorise enfin mes genoux à céder sous le poids qui pèse sur mes épaules. Je n'entends pas Oriel sortir de l'armoire mais je sens ses bras se refermer autour de mon corps soudainement fragile. Je sens son torse se presser contre mon dos. Et je ne sais pas ce que je ferais s'il n'était pas là.
J'ai fini par associer l'amour avec ce que je voyais. Je pensais l'amour violent. Je pensais que les hommes qui aimaient trop les femmes les baisaient sans leur autorisation, je pensais que c'était normal qu'ils les fassent crier, que c'était normal qu'elles les fuient un peu, au fond si ma mère restait elle devait bien l'aimer aussi. Je pensais que peut-être c'était un jeu de se faire mal. Peut-être que mon père montrait son amour avec des coups de poings. Alors je me suis interdit d'aimer. J'ai détesté l'amour de toute mon âme sans comprendre que je confondais. Que l'amour c'était les baisers doux que je déposais sur la peau fragile de mon frère qui devenait de plus en plus maigre, de plus en plus chétif, de plus en plus soucieux. Je ne savais pas que quand je le prenais dans mes bras, le coeur battant je l'aimais plus que n'importe qui au monde.
we got that love, the crazy kind Et puis on a finit par grandir. Mon sourire ravageait le coeur des filles, et mon corps leur ravissait les yeux. Mon père avait été obligé de faire une donation spectaculaire pour que je puisse entrer dans ce lycée réputé, il avait prit soin de faire effacer mes dossiers et je le respectais énormément malgré ce qu'ils nous faisait.
Les verres s'enchaînent et mon oesophage brûle sans que j'ai envie de m'arrêter. Le bras sur les hanches d'une jolie fille, j'en oublie tout le reste. Les notes que je dois garder haute pour ne pas décevoir mon père, les coups de pieds qui doivent fendre l'air si je ne veux pas me retrouver avec le poing de mon adversaire fendant ma lèvres, l'état déplorable de mon frère auquel je ne peux pas remédier, les larmes de ma mère, ma vie ennuyeuse et pourtant trop remplie. Et puis je pose délicatement mes lèvres contre d'autres d'autres, tout à l'heure je monterais à l'étage pour goûter aux plaisirs de la chair et demain matin je reprendrais mes études avec mon sérieux caractéristique, celui de quelqu'un qui a encore tout à perdre mais aussi tout à gagner.
Je griffonne quelques mots sur mon cahier avant de relever les yeux vers le plafond. J'y arrive pas, je peux pas me concentrer. J'ai cette espèce de peur qui me remue complètement et plus j'y pense, moins j'y trouve de raison. En fait, tout va plutôt bien dans ma vie en ce moment. Mon père est en voyage d'affaires, ma mère s'est absentée et mon frère me parait mieux depuis quelques jours. J'avais même vu un sourire illuminer ses traits pas plus tard que ce midi. J'ai peur. J'ai peur sans savoir de quoi, alors je me lève et mes grands pas me conduisent vers sa chambre vide. Je l'appelle sans avoir de réponse et je comprend aussitôt pourquoi j'ai peur. Parce que je ne l'entends plus, parce que je ne le vois plus, parce que j'ai l'impression qu'il s'est tiré sans moi. Et peut-être qu'il aurait pu, faire ses bagages et m'abandonner derrière. Peut-être bien que je ne lui avait pas parlé assez pour pouvoir connaître ses projets. Pas depuis longtemps. La vérité c'est que je l'avais un peu évité tout en le gardant sous le feu de mon regard. Je le surveillais de loin mais je ne voulais pas de son désespoir. Et lorsque je croisait son regard, je sentais sa tristesse m'envahir alors je l'avais plus croisé. Je crie, je m'en déchire les poumons sans obtenir de réponse. Je vais le chercher jusque dans les toilettes avant de me heurter à la porte close de la salle de bain. Les doigts contre le bois je le supplie de m'ouvrir comme si j'avais subitement un besoin urgent de le tenir dans mes bras. Je finis par m'impatienter, je finis par tout casser, par entrer en fracassant la porte. Et je vois rouge. Du rouge partout, son corps inerte baigne dans l'écarlate. Je retiens un sanglot en me précipitant vers lui. Mes bras attrapent vivement son corps frêle et je me couvre de son sang en l'extirpant de la baignoire.
« Oriel. Me fais pas ça. » Je serre son corps nu contre mon torse en sortant mon téléphone de la poche arrière de mon jean. Ma main libre se plaque contre un de ses poignets comme si je pouvais en retenir le flot cramoisi.
000, j'ai besoin d'aide. Il a besoin d'aide. Mes yeux scrutent la pièce en répondant aux questions de l'urgentiste et je repère vite les boîtes de médicaments vides. Je sais ce qu'il a fait. Je sais qu'il va m'échapper, mourir, qu'ils vont pas arriver à temps, et mes larmes s'écrasent contre son visage. Je lâche le combiné pour fourrer mes doigts dans sa gorge. Parce que je peux pas le laisser me faire ça. Je veux le retenir par égoïsme, je dois le retenir pour moi, il doit rester. Comment je pourrais vivre sans lui ? J'entends déjà les secours arriver alors que je le force à vomir. Et heureusement parce que j'aurais surement pu le tuer en essayant de le sauver s'ils n'avaient pas débarqué. Ils me l'ont arraché des bras, j'ai crié, je me suis débattu et ils ont fini par me sédater pour que je me tienne tranquille.