DRAMA QUEEN 01. Tu es née à Londres il y a vingt-trois ans de cela. C’est la ville qui a accueilli tes premiers cris, tes premiers pas et la plupart de tes autres premières fois. Tu y passeras la plus grande partie de ton existence, quinze années. Tu y vivras tes meilleurs moments, mais aussi les pires – ceux qui continuent de te hanter chaque fois que tu fermes les yeux.
02. Tu es une Alridge, sept lettres qui font frémir les plus grands de ce monde. Ta famille est à la tête d’un puissant empire financier, par conséquent, tu n’as jamais manqué de rien. Tu as fréquenté les meilleurs établissements ainsi que les personnes les plus influentes de la haute sphère ; et avant même d’atteindre l’âge de seize ans, tu avais déjà effectué le tour du monde au moins deux fois.
03. Ton père a été absent la majeure partie de ton existence. Tu peux d’ailleurs compter sur les doigts d’une main les fois il a répondu présent à un de tes anniversaires ou à une fête de fin d’année. Une absence qui t’a pesé, même si tu avais la chance de pouvoir compter sur ton frère.
04. Les absences à répétitions de ton père ont usé prématurément ta mère, qui ne carbure que grâce aux anti-depresseurs, comme tu l’apprendras plus tard. Tu as quatorze ans, lorsqu’un jour, en rentrant de l’école , ton frère et toi découvrez un mot de votre mère vous annonçant sa décision de quitter le domicile familial.
05 . Cet événement a été un bouleversement pour tout le monde en particulier pour ton frère Connor, qui l’a très mal vécu. Peut-être parce que tu étais plus jeune, tu as semblé t’en remettre plus rapidement que ton aîné. C’est à cette période que ton père prends la décision d’aider son fils en le responsabilisant et en lui confiant des tâches à effectuer au sein de l’entreprise familiale.
06. Tu as eu beaucoup de mal à gérer cette nouvelle relation entre ton père et ton frère. Pendant des années, tu as assisté à ce lien privilégié entre les deux en ayant l’impression d’avoir été mise à l’écart, reléguée au second rang. Ça n’était un secret pour personne : ton père avait toujours pensé à Connor comme successeur potentiel, mais les voir passer tout leur temps ensemble t’affectait profondément.
07. Ton père a toujours été un homme exigeant en affaire, et il l’était d’autant plus avec son fils aîné. Toi, tu n’a jamais rien su de cette pression exercée sur ton frère. Tu étais bien trop occupée à envier leur relation et tu ne voyais rien à l’éloignement de ton frère. Tu ne le voyais d’ailleurs presque plus, lui aussi, puisqu’il cherchait tant bien que moi avec sa vie universitaire et le travail à l’entreprise.
08. Ton univers tout entier basculera le 15 mars 2011 lorsqu’un coup de téléphone tard dans la nuit, vous réveillera ton père et toi. Aujourd’hui encore, tu revois cette scène à l’infini : ton père qui décroche le combiné et qui réponds d’une voix encore engourdie par le sommeil – un long silence – et soudain, une mine qui se décompose, un regard hagard. Il raccroche. Il n’a rien besoin de dire. Connor. Ton rythme cardiaque soudain s’accélère. Vous vous dépêchez vers l’hôpital sans échanger le moindre regard. Et puis le vide.
09. Ton frère est mort au volant de sa voiture de sport – dernier cadeau en date du paternel, et le rapport de police conclu à une conduite sous influence de substances illicites. Tu ne te remettras jamais de cette tragédie. Tu refuseras de ré-adresser la parole à ta mère en grande partie coupable à tes yeux, du mal être de ton frère. Tu accuseras également ton père d’avoir poussé à bout ton frère à tel point que ce dernier s’est mis soudainement à trouver refuge dans les paradis artificiels.
10. Tu es celle à qui tu en veux le plus. D’avoir été trop occupée à envier ton frère au lieu de déceler son désarroi. De n’avoir jamais été l’épaule réconfortante sur laquelle il aurait pu se reposer, ni l’oreille attentive à laquelle il aurait pu se confier. Cette culpabilité te ronge de l’intérieur – tu ne parviens plus à dormir, tu oublies de manger. Tu ne supportes plus aucune autorité, ni de revoir des visages qui t’étaient familiers. Tu vrilles complètement et cela se ressent physiquement et dans tes résultats scolaire. Ton père assiste d’abord impuissant à ton déclin et puis il décide qu’il ne peut pas se résoudre à perdre un autre enfant. Vous quittez l’Angleterre pour vous installer à l’autre bout du globe, en Australie.
11. A dix-sept ans, ton père te fait intégrer un centre spécialisé à Brisbane pour jeunes en difficulté et tu perçois cette initiative comme un internement, une nouvelle manière de t’éloigner. Mais contre toute attente, les rencontres que tu y fais scellent ton avenir. Il n’y a que des cœurs meurtris autour de toi, et pourtant tu es soulagée. Tu ne supportais plus la pseudo-compassion et l’hypocrisie de ceux qui s’imaginaient comprendre ce que tu as ressenti à la mort de ton frère, alors qu’il en étaient incapables. Dans ce centre, pas de faux-semblants puisque tout le monde était à la même enseigne.
12. Tu as repris pieds, lentement, laborieusement mais c’était toujours ça. Tu as pu reprendre ta dernière année d’études et obtenir ainsi ton diplôme. Ce sésame qui devait t’ouvrir les portes de toutes les universités. Cette première réussite redonne un peu de sens à ton existence. Tu te remets tant bien que mal à envisager un avenir. Tu ne sais pas ce que tu faire de ta vie, tu n’as qu’une seule certitude : tu veux t’échapper du carcan familial et seule l’université te permettra cet exploit. Alors tu bosses, tu fais plus que ça pendant un moment. Tu veux la décrocher cette putain de place qui te permettra de prendre un tournant.
13. Le visage de ton frère continue aujourd’hui encore à hanter tes nuits, mais tu as fait du chemin depuis tes seize ans. Tu as rejoins les bancs d’une prestigieuse université australienne, où tu étudies la communication digitale. Tu as l’air d’aller mieux, tu t’es promis d’aller mieux. Tu ne laisses rien paraître de ce que tu as traversé. Tu ne souhaites spécialement que les gens l’apprennent. Tu as appris à tout cacher derrière ton sourire narquois et ton petit air arrogant. Toi, la fille à papa. Toi, l’emmerdeuse. L’antithèse. Impossible de dire si on t’adore ou si on te déteste. Si on admire ou si on plaint ton insouciance. Tu n’as pas froid aux yeux. Tu vois chaque situation comme un nouveau défi à surmonter. Tu reviens de l’enfer de toute façon.
14. Tu as compris, les règles de ce monde. Tu manipules. Tu uses et abuses de ton charme pour arriver à tes fins. Tu enchaînes les relations, les ‘CDD’ comme tu les appelles. Des histoires qui s’arrêtent au flirt, sur le seuil de ta porte ou au petit matin. Tu ne t’attaches jamais. Ça t’arranges de le croire en tout cas. La fête est devenue ton exutoire, ton moyen d’expression. Tu es de toutes les soirées, noyant tes pensées dans les effluves sans jamais toucher aux drogues. Tu redoute l’ennui et tout se qui pourrait te laisser prisonnière de tes idées noires et parce que tu te lasse très vite, tu recherche le divertissement en permanence. Un pied au dessus du vide, de la folie.