Perchée sur tes talons hauts, Austin ne lâchait pas ta main, alors que vous étiez déjà à plusieurs centaines de mètres du lieu d’habitation de son frère. Silencieux, tu le savais pensif, et la façon qu’il avait de te tenir la main était pour lui une façon de se rassurer. Tu serrais ses doigts un peu plus pour le faire réagir et lorsqu’il levait les yeux vers toi, tu lui souriais tendrement. Austin et toi, vous aviez littéralement eu le coup de foudre, quelques années en arrière. Un coup de foudre amoureux d’abord, vous étiez restés ensemble quelques mois, avant que tu ne devines qu’il n’était pas totalement naturel dans sa façon de se comporter avec toi, tu avais deviné que tu n’étais pas la femme qu’il aimait réellement. Il t’aimait, mais pas comme tu l’aimais toi, ce n’était pas le même genre d’amour. Austin était devenu ton meilleur ami et aujourd’hui, tu tenais encore le rôle de sa petite-amie lorsqu’il voyait son frère. Son frère, à qui il avait une peur bleue d’avouer son homosexualité. « Ça va chat ? » Vous preniez naturellement la direction de ton appartement, tu habitais pas très loin de son frère et tu voulais parler à Austin, et tu savais que de son côté ça lui ferait du bien aussi de parler. Tu étais fier de lui, et tu voulais qu’il soit fier de lui aussi.

Tu détestais ces soirées là, pas celles passées en compagnie de Jamie bien entendu, mais ces repas forcés avec ton frère qui avaient lieu bien trop souvent à ton goût et qui avaient toujours tendance à te plonger par la suite dans des états d'angoisse insupportables, cette fois n'avait évidemment pas fait exception et même si son appartement était à chaque pas un peu plus hors de ta vue tu refusais de lâcher la main de Jamie, t'accrochant à elle comme à une bouée de sauvetage, pour ne pas t'effondrer en pleine rue, ce fut seulement quand elle serra un peu plus fort tes doigts que tu fis l'effort de retourner un peu à la réalité du monde qui t'entourait, tournant un regard légèrement interrogateur vers elle alors qu'elle te demandait si ça allait

« Hein ? Oui...»

Tu n'avais jamais su mentir et le manque de conviction que tu avais mis dans ta réponse te trahissait mais tu n'arrivais toujours pas à lui dire quand quelque chose n'allait pas, après tout ce temps, après votre relation de couple, après tout ces mois passés ensemble, et alors même qu'elle était très probablement la personne à qui tu faisais le plus confiance, que tu aimais le plus dans ce monde, tu étais incapable de lui répondre honnêtement « Non » quand elle te posait cette question, tu préférais dire oui, sur le ton le moins crédible du monde plutôt que d'assumer que tu avais toi aussi des faiblesses comme tout autre être humain sur cette planète.
Et en même temps, dire non c'était devoir expliquer alors que tu ne savais même pas comment trouver les mots pour expliquer le sentiment de malaise que tu ressentais quand tu devais voir ton aîné, la corvée que passer du temps avec lui représentait pour toi, tu ne savais pas trouver les mots pour expliquer la honte, la peur, le dégoût de toi-même, ta vie était une lutte perpétuelle pour t'accepter et chaque instant passé avec lui te faisait retourner à nouveau au point de départ, c'était beaucoup trop douloureux de voir la pitié dans son regard, beaucoup trop douloureux de le regarder et de voir un idéal que tu ne pourrais jamais atteindre même si tu le voulais, il représentait tout ce que tu n'étais pas, tout ce que tu avais voulu être et que tu ne serais jamais, voir ton frère c'était comme devoir te confronter à la personnification de tes rêves brisés...
Et il y avait ton homosexualité aussi, ce secret que tu gardais caché loin de lui, prétendant être en couple, être hétérosexuel et épanoui, tu ne savais même pas s'il était homophobe ou non, tu ne savais même pas sa réaction mais tu t'étais mis en tête que s'il l'apprenait il te renierait, que ce serait juste une ultime déception, celle de trop...
C'était comme ça que tu te sentais ce soir, comme chaque soir après avoir vu ton frère et Jamie le savait, comme une déception, un échec total alors même qu'au quotidien pourtant tu te sentais très bien, très à l'aise avec ta personnalité, chaque fois que tu te voyais dans les yeux de ton aîné tu te détestais.

Te mordant les lèvres, tu finis par baisser les yeux, essuyant de ta main libre une larme qui s'était perdue seule sur ta joue.