don't judge my story by the chapter you walked in on

chapitre one 31 octobre 1995. Dans ce profond sommeil qui est le tien, tu ne perçois pas l'agitation autour de toi. Pourtant, elle est bien réelle et la tension comme l'excitation sont presque palpables dans la pièce tandis que les uniformes défilent au dessus de toi pour avoir un aperçu du nouveau venu, si petit mais déjà presque une célébrité au sein du personnel. La rumeur ne met pas longtemps à se répandre dans l'hôpital. Une jeune stagiaire infirmière a trouvé un nouveau-né devant les portes du bâtiment, emmitouflé avec soin dans une couverture. Il paraît même qu'elle aurait vu une jeune femme s'éloigner en courant. Sans doute la mère de l'enfant. Les hypothèses vont bon train tandis que l'histoire prend de l'ampleur et gagne du terrain dans les couloirs. Bien que tu ne sois pas le premier nouveau-né a être trouvé de la sorte, ce n'est certainement pas chose courante et les situations exceptionnelles génèrent toujours un certain émoi, même chez les médecins.

Tu n'es toujours pas réveillé alors que la plupart des membres du personnel sont déjà venus te voir. Finalement, seuls restent avec toi l'infirmière qui t'a trouvée et le médecin qui t'examine, s'assurant de ta bonne santé. « C'est dingue, tout de même. Au moins, elle a eu le bon réflexe. Et elle n'a rien laissé sur lui? Une lettre, un mot? » L'infirmière ne répond pas tout de suite et hésite une seconde, peut-être moins. Pas assez en tout cas pour que cela semble suspect à son collègue qui la pensera encore sous le choc d'une telle découverte. « Non, il n'y avait rien. » Elle t'a déjà méticuleusement inspecté avant de te ramener. Pourtant, elle ne mentionne pas le petit bout de papier chiffonné qu'elle a soigneusement glissé au fond de sa poche. Celui qu'elle gardera secret pendant des années, jusqu'à ce qu'elle te le confie enfin.

chapitre two one of the sweetest things in life: a letter from a friend.

« Mon chéri,

Si tu lis cette lettre, c'est que je n'ai pas réussi à te dire ce qui va suivre avant qu'il ne soit trop tard et j'en suis terriblement désolée. Je suis désolée de devoir te le dire maintenant que je ne suis plus là et j'espère que tu pourras me pardonner, même si je comprendrais que cela te demande du temps.

La première fois que je t'ai vu, paisiblement endormi et ignorant totalement ce qu'il venait de t'arriver, mon cœur s'est brisé. Je n'arrivais pas à comprendre comment une mère pouvait abandonner son enfant et, bien que ce n'était en rien déontologique, je me suis attachée à toi plus que je ne l'aurais dû. Mais j'étais jeune et je n'aurais rien pu faire d'autre que de prendre soin de toi en attendant qu'on trouve une meilleure solution. En attendant que tu quittes l'hôpital pour rejoindre une famille qui s'occuperait bien mieux de toi que ce que je n'aurais pu faire à l'époque. C'est du moins ce que je croyais. Mais aucune famille n'a su te comprendre. Tu ne leur as certainement pas facilité la tâche mais tu n'étais qu'un enfant et ce n'était pas à toi de rendre leur tâche agréable.

Je n'ai jamais pu t'oublier. C'est pour cela que je me suis débrouillée pour suivre ton parcours. J'étais persuadée que tu finirais par trouver ta voie. Mais, quand tu as eu seize ans, les choses se sont compliquées. Entre ton renvoi du lycée et l'accident, je me suis enfin décidée à faire quelque chose. J'aurais dû réagir plus tôt mais j'avais peur de ne pas être à la hauteur. Et je ne peux nier que j'avais entièrement raison d'avoir peur.

Quand tu es arrivé à la maison, tu as fait disparaître l'impression que j'avais depuis toutes ces années qu'il manquait quelque chose à ma vie. On a rapidement trouvé nos marques tous les deux, du moins c'est l'impression que j'ai eue. Et quand je te voyais t'épanouir, quand je voyais de quoi tu étais capable lorsque tu t'en donnais les moyens, j'étais tellement heureuse d'avoir pu y contribuer, ne serait-ce qu'un peu. Mais je n'ai jamais pu t'avouer que je t'avais menti. Que je t'avais volé quelque chose qui aurait peut-être pu tout changer. Toutes ces fois où tu disais que ta mère biologique se moquait de savoir ce que tu étais devenu, j'aurais du dire quelque chose. Mais j'avais peur que tu m'en veuilles. Ta mère n'a certes pas pu s'occuper de toi mais elle ne t'a pas abandonné sans rien te laisser. Je pense qu'elle tenait suffisamment à toi pour réfléchir au prénom qu'elle t'aurait donné si elle avait pu te garder. Pour s'imaginer une vie avec toi. Tu trouveras un bout de papier avec cette lettre. Il était caché dans ta couverture lorsque je t'ai trouvé et comporte le prénom que tu aurais dû porter. Je ne sais pas pourquoi je l'ai gardé pour moi. Ou plutôt si, je sais. Je pensais que la personne qui t'avait laissé n'avait pas le droit d'avoir une emprise sur celui que tu allais devenir. Je voulais te donner une autre vie, sans que l'ombre de ta mère ne plane au-dessus de toi. Encore une fois, j'étais jeune et je me rends compte désormais que je n'avais pas le droit de faire ça.

Je me répète mais j'espère vraiment que tu pourras me pardonner un jour. Pour ceci et pour ne pas t'avoir sorti du système plus tôt. Désormais, à presque vingt-deux ans, tu es un homme. Et tu as une mission, celle de vivre la vie que tu souhaites sans toutefois jamais oublier de prendre soin de toi. Je sais que tu es capable de grandes choses et je compte sur toi pour les mener à bien.

Je t'aime,
Maman. »

chapitre three 31 octobre 2017. Le souffle court, tu finis par interrompre ta course pour t'adosser à un mur, juste le temps de récupérer. Tandis que d'autres font la fête, tu cours depuis plus d'une heure et ne t'es pas arrêté depuis. Tu cours pour te vider la tête. Pour faire taire le vacarme intérieur de tes pensées. Tu remarques à peine ta gorge sèche comme du papier ou ton cœur qui bat la chamade à t'en déchirer la poitrine, trop obnubilé par le bout de papier froissé qui traîne dans la poche de ton pull. D'une main tremblante, tu viens le toucher, du bout des doigts, avant de les retirer aussi brutalement que s'il ne t'avait brûlé. Tu te trouves tellement stupide à t'y accrocher de la sorte mais tu n'arrives pas à t'en débarrasser. Ce bout de papier, c'est une part de toi que tu ne connaîtras probablement jamais. Le prénom d'Eliott griffonné d'une écriture délicate représente tellement et si peu à la fois. C'est le seul héritage d'une mère que tu ne sais si tu regrettes ou non. De ta génitrice, comme tu l'appelles lorsque tu es forcé d'en parler. Ta mère, celle qui a vraiment compté, ne t'aurait jamais fait ça si elle t'avait donné la vie, t'en es certain. Pourtant, tu lui en veux. Tu lui en veux de t'avoir donné la plus belle chance de ta vie sans pourtant pouvoir être honnête avec toi. Mais surtout, tu lui en veux de t'avoir révélé tout ça dans une lettre avant de te laisser encore plus seul.

Alors que tu te rappelles des derniers mots de ta mère couchés sur du papier, ceux de ton ancienne psychologue, lus sur un bilan que tu lui avais emprunté dans l'intention de ne jamais lui rendre, résonnent soudainement dans ta tête, comme ils le font lorsque tu commences à te poser trop de questions. Asher est en perpétuelle recherche d'identité. Il présente un trouble de l'attachement important lié à l'abandon de sa mère biologique qui le pousse à constamment tester les personnes qui font partie de sa vie. T'as beau de te persuader que ce n'est qu'un paquet de conneries, peut-être qu'elle n'avait pas tord, finalement. Et peut-être que t'es condamné à être abandonné et à faire souffrir ceux qui t'entourent pour te venger.