Perfect World Once I was 7 years old my momma told me ... Deux ans, c'est l'âge que tu avais lorsqu'elle est apparue dans votre vie. Du haut de tes trois pommes, tu avais dû te mettre sur la pointe des pieds pour atteindre le berceau de maternité et regarder à l'intérieur la petite crevette qui s'y trouvait avec curiosité.
C'est ta petite sœur, elle s'appelle Layla qu'on t'a dit,
tu dois la protéger. Tu n'as jamais cessé depuis lors. Cherchant à la faire rire à tout prix, la rendre heureuse, l'emmenant dans tes plus grosses bêtises dès qu'elle a eut l'âge de marcher. Layla, ça a toujours été ton petit rayon de soleil dans ta vie, que tu as cherché à protéger, à couver, à garder égoïstement au creux de ta paume comme un secret. Tes parents trouvaient cela adorable, autrefois. Ils ne roulaient pas sur l'or mais faisaient le plus possible pour vous offrir ce dont vous aviez besoin, et cela vous a toujours suffit ; vous n'aviez pas besoin de grand chose sinon de leur amour.
Dans tes moments de déprime, cette époque te manque. Où tout semblait briller au-dessus de vous, où le soleil rayonnait sur ses cheveux alors qu'elle courait à tes côtés. Tu sais que tu ne devrais pas, tu sais que c'est égoïste, que c'est mal – mais parfois, c'est la vérité, tu aimerais retourner en arrière et tout changer. Te défaire de toute cette culpabilité.
Once I was 11 years old my daddy told me … Vous couriez. Tout le temps. Partout. De vraies piles électriques, comme disaient vos parents. Ceux-ci passaient leur temps à vous répéter de ralentir, de ne pas courir dans les escaliers, que vous risquiez de glisser sur le carrelage de la cuisine, de vous tenir tranquilles. Mais les enfants n'écoutent pas toujours leurs parents, et vous étiez particulièrement têtus, toi et Layla.
« On fait la course ? Le dernier arrivé à la chambre est une poule mouillée ! » Elle avait cinq ans, toi sept, et vos parents n'avaient pas assez d'argent pour vous offrir une chambre chacun, mais cela vous allait très bien – il t'était même arrivé de jouer avec ses barbies et elle avec tes voitures, vous vous prêtiez vos playmobils et parfois, quand l'un faisait un cauchemar, l'autre venait dans son lit pour le rassurer.
Layla a levé la tête vers toi, et un grand sourire est apparu sur ses lèvres. Alors, vous vous êtes mis à courir à travers le salon, direction le couloir et les escaliers. Vite, toujours plus vite. Tu la doubles, passes en premier sur les escaliers que tu grimpes à toute vitesse, les pieds touchant à peine les bords avant de voler jusqu'au prochain. Tu lui tournais le dos, tu n'as rien vu. Tu regretteras toujours de ne pas l'avoir laissée te dépasser, tu regretteras toujours de ne pas avoir été derrière elle pour la retenir. Tu es arrivé en haut, elle non. Elle bascula, et le craquement glaçant que tu entendis au moment de l'impact te hantera pour le restant de tes jours.
Once I was 20 years old my story got old… Chaque jour qui passe, tu as l'impression de mourir de culpabilité en la regardant.
C'était toi qui avait lancé le défi,
c'était toi qui l'avait doublé,
c'était à toi de la protéger.
Elle n'aurait jamais dû se retrouver dans ce fauteuil roulant. Tout ça par ta faute.
Les changements brutaux de votre mode de vie se sont fait d'un seul coup, du jour au lendemain, te ramenant un peu plus à l'horreur de ce que tu avais provoqué, tout cela pour une simple course. Votre situation financière est devenue plus instable pendant un temps, pour tous les frais médicaux engendrés, pour toutes les nouvelles installations à construire à la maison ; c'était comme si tout recommençait de zéro, et cela devait être encore pire pour ta sœur car toi, tu n'as toujours pu que regarder tout cela de loin, impuissant, lorsqu'elle s'effondrait sous les problèmes de santé et les nombreux passages à l'hôpital, incapable de comprendre et même si tu essaies toujours de la soutenir du mieux que tu peux, parfois toi aussi tu craques sous le poids de toute cette culpabilité. Tu es devenu surprotecteur avec elle, comme si cela suffisait à expier tes fautes, à soulager ta conscience. T'es pathétique ; tu le sais. Tu la colles trop, t'es chiant, t'es lourd. Elle a retrouvé le sourire, pourtant, elle te dit souvent :
mais ça n'est pas une fatalité, ça n'est pas terminé, arrête d'en faire tout un drame.Mais à chaque fois qu'elle se retrouve dans un lit d'hôpital, tu peux l'apercevoir regarder par la fenêtre, nostalgique, et tu te dis qu'autrefois, tout était beau, tout était simple, et que tu aimerais tant y revenir.
Soon we'll be 30 years old. Le cœur qui bat la chamade, le souffle devenu court, tu as fixé l'enveloppe un long moment entre tes doigts sans jamais oser l'ouvrir. Au début, tu avais juste voulu suivre Layla. Au début, tu voulais juste la couver un peu plus, la suivre partout, jouer ton pot-de-colle habituel. Elle t'a tellement insulté lorsqu'elle a apprit que tu voulais aller dans la même université qu'elle, en tapant sur les accoudoirs de son fauteuil et en te pointant du doigt comme si tu étais la pire erreur sur terre.
Oh, ça, tu savais que c'était le cas. Mais après, c'est devenu autre chose. C'est devenu l'envie de faire plus, de trouver ce que tu aimes faire, de te trouver toi, à travers ces études si dures à atteindre. Tu es tombé amoureux de la faune et flore marine il y a longtemps, et maintenant que tu en avais la possibilité, tu ne t'étais pas privé de viser la biologie marine pour ton futur cursus.
Tu as fini par ouvrir la lettre, parcourir les premières lignes. Et tes joues te font mal tant tu souris. Tu bondis de ta chaise, fonces tout droit dans la chambre de ta sœur pour savoir de quoi il en était pour elle ; elle relève le nez vers toi, puis ses pouces en l'air, elle a les yeux qui brillent et ce sourire-soleil sur les lèvres, celui que tu aimais tant. Elle avait réussi, et toi aussi. Lorsque tu lui as montré avec fierté, elle t'a encore insultée, mais plus gentiment cette fois car elle s'était faites à l'idée que tu allais la suivre là-bas. Elle te montre son majeur, toi aussi – votre manière principale de communiquer, et de vous féliciter.
« J'espère que tu ne me feras pas trop chier, une fois là-bas » qu'elle déclare sans trop y croire. Et toi, tu sais que tu le feras, mais tu sais aussi qu'elle t'enverra dans les roses, parce qu'il en a toujours été ainsi.